lundi 16 février 2009

Des biocarburants à bilans carbone négatifs : 2- La polyculture d’herbes sauvages des prairies


Illustration – Les herbes sauvages des prairies ont des racines très fournies et profondes de 3 à 4 mètres. (source : United-States Department of Agriculture, la profondeur en mètres a été ajoutée par l’auteur de ce blogue)

Avec des carburants pétroliers, on prend du carbone qui était sous terre, on le brûle et on augmente ainsi constamment la teneur en CO2 de l’atmosphère. L’idée derrière les biocarburants est d’éviter d’émettre du CO2 en provenance de carbone piégé dans les formations géologiques («géocarbone») et d’utiliser à la place du «biocarbone» qu’on retrouve dans les plantes. On entre alors dans ce qu’on appelle le cycle du carbone, où le carbone qu’on envoie dans l’atmosphère, en brûlant les biocarburants, est réabsorbé par les plantes qu’on cultive pour fabriquer les biocarburants. Il ne s’en ajoute donc pas constamment dans l’atmosphère, dans la mesure où on n’utilise pas de carburants fossiles pour fabriquer les biocarburants. Dans ce cas, on dit que les biocarburants ont un bilan carbone neutre.

Cette situation idéale n’est pas atteinte en pratique, et on obtient un bilan positif d’émissions de CO2, avec une réduction plus ou moins grande des émissions par rapport aux carburants fossiles. Cette réduction est d’à peine 20% pour l’éthanol produit à partir de grains de maïs, et certains disent même qu’elle est nulle si on tient compte des gaz à effet de serre qu’il a fallu émettre pour produire la machinerie. Ajoutons à cela les problèmes de dégradation des sols et de pollution de l’eau, dus aux engrais et pesticides, et on comprend pourquoi plusieurs environnementalistes n’aiment pas les biocarburants.

Toutefois, les biocarburants de deuxième génération ont le potentiel de diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 80% à 90%, en utilisant les plantes au complet au lieu de seulement les grains et les fruits, comme c’est le cas présentement. Mais, les problèmes de dégradation et d’érosion des sols par des monocultures intensives doivent également être pris en compte.

La Nature faisant bien les choses, les chercheurs étudient depuis quelques décennies l’avantage des cultures de hautes herbes sauvages des prairies, comme le Panic érigé (switchgrass en anglais). Tout d’abord, ces herbes étant vivaces, elles n’ont pas besoin d’être ressemées à chaque année, comme le maïs ou le soya. De plus, ces herbes ont des systèmes radiculaires très développés et profonds (illustration au début du billet). Grâce à ces deux particularités, les herbes sauvages des prairies protègent les sols de l’érosion, au lieu de l’amplifier comme le font les monocultures intensives de plantes annuelles en rangées.

Par ailleurs, les herbes sauvages des prairies n’ont pas besoin d’être arrosées, car leurs racines sont très efficaces pour récupérer l’humidité du sol, jusqu’à 3 ou 4 mètres de profondeur. Par comparaison, le maïs nécessite en arosage souvent plusieurs centaines de litres d’eau par litre d’éthanol produit.

Là ou la culture des herbes sauvages des prairies devient particulièrement intéressante, c’est lorsqu’on en cultive un mélange, incluant des plantes qui fixent l’azote. C’est ce qu’ont expérimenté les chercheurs de l’Université du Minnesota, pendant 10 ans, sur des terres dégradées. Ils ont cultivé 152 parcelles différentes de terrain comportant différents mélanges, allant jusqu’à 16 herbes différentes dans une même parcelle. Les résultats stupéfiants de leur étude ont été publiés en 2006 (Tilman, Hill et Lehman, revue Science, vol. 314, 8 décembre 2006, page 1598 à 1600).

Tout d’abord, les quantités d’engrais et de pesticides requises sont de beaucoup réduites par rapport au maïs et au soya, comme le montre le graphique ci-dessous, tiré de leur publication (couleurs ajoutées par l’auteur de ce blogue).
Le mot «Biomass» dans ce graphique représente le mélange à haute diversité (16 herbes différentes).

Maintenant, la surprise c’est que les biocarburants de deuxième génération issus de ces cultures à haute diversité auraient des bilans carbone fortement NÉGATIFS! C’est-à-dire qu’en plus d’éviter les émissions nettes de CO2 dans l’atmosphère (bilan carbone neutre), on retire littéralement du CO2 de l’atmosphère pour en réduire la concentration. La raison est bien simple, le carbone est stocké sous terre, en grande quantité, dans les racines. C’est un peu comme le charbon de bois de la Terra preta, enfoui par les aborigènes d’Amazonie (voir le précédent billet).

Toutefois, pour obtenir des bilans carbone fortement négatifs (-150% à -250%), il faut cultiver plusieurs herbes ensemble. Par exemple, les parcelles avec un mélange de 16 herbes stockent 31 fois plus de carbone dans le sol que les parcelles en monoculture!

Non, définitivement, les biocarburants de demain n’auront rien à voir avec ceux d’aujourd’hui, d’où l’importance de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Un développement durable des biocarburants est tout à fait envisageable, à condition de le faire intelligemment et de n’en produire que des petites quantités.

Dans mon dernier livre Rouler sans pétrole, je démontre que faire des cultures énergétiques pour produire l’équivalent en biocarburants de 5% des carburants pétroliers actuels serait suffisant pour ne plus consommer de pétrole dans les transports routiers. L’électricité des réseaux serait, bien entendu, le principal «carburant». On utiliserait également, pour les biocarburants, des déchets municipaux, des résidus forestiers et le recyclage des huiles et gras de l’industrie alimentaire, ce qui peut sans problème fournir l’équivalent de 2,5% des carburants pétroliers actuels, pour un total de 7,5% en biocarburants (incluant les cultures énergétiques dédiées).

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